Un jardin de thé et des plantations de cardamome secrètement placés au cœur d’une végétation luxuriante en Inde du Sud
Le lundi 2 mars, après plusieurs jours passés à Kochi et à Kumily au Kerala à l’extrémité sud-ouest de la péninsule indienne, on quitte le Chrissie’s Hotel pour se rendre chez Annu et Joseph, des producteurs d’épices et de thé qu’on avait déjà rencontrés en février 2019. On est impatients de découvrir leur jardin de thé et leurs plantations d’épices, sachant que tout pousse naturellement. En 2019, on les avait rencontrés à Alleppey, à 4 heures de route de Kumily. Suite à la rencontre avec l’une de leurs connaissances, ils avaient pris contact avec nous pour nous expliquer leur vision, qui correspondait parfaitement à la nôtre. Comme on n’était plus à Kumily, ils nous avaient rejoint à Alleppey et il s’est avéré qu’ils faisaient partie de la famille où on logeait !
En Inde, c’est le pays des coïncidences ! En arrivant au Chrissie’s Hotel à Kumily, on a écrit à Sajath, notre chauffeur de l’année passée et là aussi, à peine une heure après, il était à la réception. En fait, son petit frère travaille au Chrissie’s Hotel et l’hôtelier les considère donc comme sa famille. On n’en avait aucune idée et on a bien ri quand ils nous ont raconté qu’ils se connaissaient très bien.
Sajath, ce n’est pas seulement notre chauffeur mais c’est aussi notre complice de voyage. En février 2019, on avait passé une dizaine de jours avec lui à visiter des plantations d’épices et il nous avait invité chez lui pour nous présenter sa famille et partager un repas. On lui avait offert un kilo de branches de chocolat, petite attention qui avait tant rendu heureuses ses filles ! Les Kéralais sont très accueillants et chaleureux mais maintenant qu’on connaît d’autres régions, on peut certifier que l’on trouve ce sens de l’hospitalité partout en Inde !
Partageant la frontière avec le Tamil Nadu, Kumily est une station d’altitude bien connue pour ses plantations de thé et de cardamome.
Partageant la frontière avec le Tamil Nadu, Kumily est une station d’altitude bien connue pour ses plantations de thé et de cardamome. D’ailleurs, on y produirait la meilleure cardamome du pays mais c’est rapidement devenu un marché lucratif. Lors de notre déplacement en bus de Kochi à Kumily, on a vu défiler des plantations de cardamome à perte de vue ainsi que des magasins spécialisés en vente de produits chimiques à usage agricole au bord de la route.
Déjà en 2019, ce ne fut pas simple d’en trouver une de qualité, 100% naturelle. Selon les dires, ce serait une plante trop fragile qui nécessiterait l’utilisation de traitements. Mais après de longues recherches et une bonne dose de détermination, on en a trouvé auprès de deux partenaires dont Annu et Joseph. On était persuadés que ces superbes paysages montagneux et luxuriants regorgeaient de trésors de la terre.
Revenons au lundi 2 mars 2020. On sait qu’en quittant le Chrissie’s Hotel, les fabuleux petits-déjeuners nous manqueront. Leur spécialité ? Une délicieuse tranche de pain complet tartinée d’un beurre de cacahuètes ou de confitures aux fruits tropicaux ! Et tout est fait maison ! D’habitude, on mange local le matin mais après 5 semaines de currys, ça fait plaisir de retrouver quelques saveurs familières. On sait aussi qu’on va séjourner 3 jours dans une ferme en n’ayant aucun autre choix que de se mettre au régime indien, en cohabitant avec eux.
Annu nous emmène dans notre chambre pour qu’on y dépose nos affaires puis on sort se promener autour de la maison. Elle nous explique qu’ils mangent exclusivement les fruits, légumes, épices et herbes de leur jardin potager.
A notre arrivée, on remarque une imposante bâtisse blanche à fenêtres à carreaux en-haut d’un chemin. Entourée uniquement de vallées verdoyantes, elle semble seule au monde, enfouie au cœur d’une végétation tropicale. Annu nous emmène dans notre chambre pour qu’on y dépose nos affaires puis on sort se promener autour de la maison. Elle nous explique qu’ils mangent exclusivement les fruits, légumes, épices et herbes de leur jardin potager. Autour de la ferme, on remarque les plantations de thé et de cardamome, ainsi que du poivre et quelques girofliers, répartis sur 10 acres. Avant le repas préparé délicatement par sa mère, on boit un jus ayurvédique à base d’herbes mixées et Joseph, le père d’Annu, nous invite à passer à table.
Au Kerala, signifiant « pays des cocotiers » en malayalam la langue locale, beaucoup de mets sont préparés à base de noix de coco. Ainsi, l’huile de coco, le lait de coco, la noix de coco râpée sont utilisés quotidiennement dans la cuisine kéralaise qui se compose souvent d’un plat de riz, de légumineuses (pois, lentilles ou haricots) et de diverses préparations de légumes. Grands amateurs de cette cuisine fine, équilibrée et épicée, on est très emballés de partager ces repas en famille.
Lorsqu’on s’attable en face de tous ces mets qui paraissent tous autant savoureux les uns que les autres, on s’entend que ce n’est pas ici qu’on perdra du poids mais peu importe, ce n’est pas tous les jours qu’on se réunit à table avec une famille indienne. Du reste, c’est surprenant comme la cuisine végétarienne se révèle tout autant variée, créative et gourmande que la cuisine traditionnelle ! Lors de ce séjour, on retiendra le gâteau de riz à la vapeur, les différents currys de lentilles, les papadums au piment et les idlis (galettes moelleuses à base de riz) accompagnés de chutneys. Pour le dessert, les sapotilles et les bananes nous apportaient une note sucrée.
C’est surprenant comme la cuisine végétarienne se révèle tout autant variée, créative et gourmande que la cuisine traditionnelle !
Il est temps de se rendre aux plantations de thé en jeep avec Annu et Joseph. Après une dizaine de minutes de montée, on aperçoit une mini fabrique blanche perdue au cœur des buissons de thé qui parent les collines. On s’y sent immédiatement comme dans un lieu secret, au milieu d’un vert exubérant. Le producteur de thé qui travaille pour Annu et Joseph se tient à l’entrée pour nous accueillir. En lui serrant la main qu’il garde fortement pendant plusieurs secondes comme s’il tentait de ressentir nos énergies, il nous paraît très expérimenté et passionné. Bientôt à la retraite, il a passé toute sa vie à chérir les feuilles de thé.
Les théiers sont cultivés grâce à une méthode d'agriculture spirituelle communément appelée « agriculture naturelle à budget zéro » (Zero Budget Natural Farming) car selon eux, la qualité de tout produit alimentaire dépend en grande partie des conditions du sol.
En traversant les théiers pour rejoindre les cueilleurs, il nous explique que ces jardins, datant d’une vingtaine d’années, sont répartis sur 10 acres et que les feuilles sont récoltées à la main tous les 7 jours. Moins de 100 kilos de thé noir, vert et blanc est fabriqué 5 jours par semaine. Dès que les buissons sont à maturité, les deux dernières feuilles et le bourgeon sont cueillis et disposés soigneusement dans un panier.
Les théiers sont cultivés grâce à une méthode d'agriculture spirituelle communément appelée « agriculture naturelle à budget zéro » (Zero Budget Natural Farming) car selon eux, la qualité de tout produit alimentaire dépend en grande partie des conditions du sol. Cette technique leur aurait permis de renchérir la qualité de leur sol en créant un terrain semblable à celui d'une forêt, système naturel entièrement auto-suffisant et s’auto-nourrissant.
La ZBNF est une méthode d'agriculture sans produits chimiques qui s'inspire de pratiques agricoles indiennes traditionnelles. Au milieu des années 1990, l’agriculteur Subhas Palekar aurait développé cette méthode comme alternative aux engrais, pesticides et à l’irrigation intensive. Selon diverses études, le coût croissant de ces intrants chimiques était l’une des causes majeures de l’endettement et du suicide de nombreux agriculteurs. De plus, l’impact sur l'environnement et sur la fertilité des sols était dévastateur. Sans devoir dépenser pour ces produits chimiques, le coût de production est réduit et l’agriculture transformée en un exercice de budget zéro, rompant le cycle de l'endettement.
Pour remplacer ces intrants, la ZBNF encourage l’utilisation de jeevamrutha, un mélange de bouse et d’urine de vache, de farine de légumineuses, de jaggery (sucre de canne à sucre) et d’une poignée de terre locale (incluant des microbes et des organismes indigènes)
Pour remplacer ces intrants, la ZBNF encourage l’utilisation de jeevamrutha, un mélange de bouse et d’urine de vache, de farine de légumineuses, de jaggery (sucre de canne à sucre) et d’une poignée de terre locale (incluant des microbes et des organismes indigènes). Pendant le processus de fermentation, les microbes présents dans la bouse et l’urine de vache se multiplient en se nourrissant de la farine de légumineuses.
Cette culture microbienne agit en tant qu’agent catalytique naturel en favorisant l’activité de micro-organismes et de vers de terre dans le sol. Elle prévient aussi les plantes d’éventuelles maladies fongiques et bactériennes. Environ 200 litres de jeevamrutha devraient être pulvérisés deux fois par mois par acre de terre. Après trois ans, le système est censé devenir autonome et selon Palekar, une seule vache est nécessaire pour 30 acres de terre mais il doit s'agir d'une race indienne locale et non d'une Jersey ou Holstein importée.
Suite à ces explications sur l’agriculture naturelle, Annu et Joseph nous emmènent dans les plantations de cardamome, situées à quelques pas des plantations de thé. Cueillie tous les 30 à 40 jours, on apprend que la cardamome verte est une vivace tropicale de la famille du gingembre et que ses pousses se développent à partir de rhizomes (tiges souterraines).
A l’abri d’arbres hauts, ses feuilles sont longues et fines et ses petites fleurs blanches striées de violet. Chaque gousse est récoltée à la main et contient 15 à 20 graines noires au goût de menthe. Joseph nous explique aussi que les tiges de ses plantes contiennent beaucoup de fibres, ce qui rend ses racines plus solides.
Avant de repartir, c’est l’heure de déguster une tasse de thé et en compagnie d’un maître du thé, c’est encore mieux !
Avant de repartir, c’est l’heure de déguster une tasse de thé et en compagnie d’un maître du thé, c’est encore mieux ! Selon lui, ses feuilles de Camelia Sinensis dégagent de délicieux arômes, aux notes de rose, de jasmin et de vanille. Selon nous, ce thé est subtil, sans aucune amertume et nous rappelle celui du Sri Lanka.
Le lendemain, on reviendra pour suivre le processus de fabrication du thé. Aujourd’hui, on a eu la chance d’observer la cueillette à la main. Chaque cueilleur pèse ensuite son panier avant d’amener les feuilles à l’étape du flétrissage au premier étage de l’usine. Les feuilles sont entreposées sur des grilles au-dessous desquelles des courants d’air les déshydratent pour les rendre plus souple lors de l’étape suivante.
Après cette dégustation, on retourne à pied à la ferme en présence d’Annu. Sur le chemin, on croise un vieil homme, à l’haleine d’alcool, très surpris par la couleur d’une chevelure blonde. Cette rencontre, quelque peu menaçante, nous fait rire quelques mètres plus loin mais accompagnés d’une locale, c’est toujours plus rassurant.
Puis, on continue de redescendre la colline en appréciant les paysages verdoyants éblouissants. Au retour à la ferme, Annu nous prépare un masala chai qu’on accompagne de délicieux beignets de banane au cumin. Lors du repas du soir, on goûte à un vin de groseilles, qui favoriserait le sommeil. Annu et sa sœur aiment beaucoup mais datant d’il y a plusieurs années, c’est très alcoolisé et aigre.
Après une courte nuit de sommeil, il faut croire que la théine a gagné contre les bienfaits du vin, on se lève de bonne heure pour regarder les étapes de la récolte du poivre. Au Kerala, on se trouve à l’origine de cette baie, au cœur des montagnes des Ghats occidentaux qui dominent la côte de Malabar.
Après une courte nuit de sommeil, il faut croire que la théine a gagné contre les bienfaits du vin, on se lève de bonne heure pour regarder les étapes de la récolte du poivre.
Les baies du poivre – piper nigrum de son nom botanique, sont récoltées sur des lianes qui s’enroulent autour des arbres. Chaque grappe est triée à la main selon son degré de maturité.
Les baies à pleine maturité (les plus rouges) sont utilisées pour le poivre blanc alors que les baies immatures (vertes) deviennent du poivre noir.
Les baies à pleine maturité (les plus rouges) sont utilisées pour le poivre blanc alors que les baies immatures (vertes) deviennent du poivre noir. Chaque baie est ensuite séparée de sa tige à l’aide d’une machine, avant d’être séchée au soleil sur une énorme bâche sur le toit. Quant aux baies du poivre blanc, elles sont débarrassées de leur enveloppe externe (péricarpe) après avoir été trempées plusieurs jours, par fermentation bactérienne, puis séchées. Pour le moment, Annu et Joseph récoltent uniquement du poivre noir et du poivre blanc, Karimunda, considéré comme l’un des plus anciens et meilleurs poivres au monde.
Avant de repartir aux plantations de thé, Annu nous emmène dans les plantations de cardamome proches de sa ferme car une équipe de cueilleurs en ramassent. Ils sont une dizaine, accroupis au sol, à cueillir les gousses à la main, qui se cachent à la base des plantes. Elles sont ensuite lavées et séchées dans une salle chauffée. Afin de ne pas les mettre sous pression, les cueilleurs sont payés à la journée et non à la quantité car si c’est au poids, ils risqueraient de récolter un maximum de gousses, qu’elles soient mûres ou pas.
En atteignant les théiers en jeep, on est à nouveau surpris par la beauté de ce lieu, dissimulé au cœur d’un paysage paradisiaque. On monte au premier étage de l’usine pour suivre l’étape suivante : le roulage.
Les feuilles, désormais plus malléables, sont roulées à l’aide d’une rouleuse pour que les structures cellulaires des feuilles se brisent et libèrent leurs enzymes. Cette procédure dure environ 60 minutes et accélère la fermentation. Pendant le roulage, on nous sert une tasse de thé blanc. Contrairement au thé noir, les feuilles de thé blanc ne sont pas roulées et ne sont donc que très légèrement oxydées. Très floral et vanillé, ce thé est délicat et riche en caféine.
Annu nous raconte qu’elle a tant abusé de ce breuvage un jour qu’elle n’a pas dormi de la nuit. Contrairement à hier, on déguste donc le thé avec parcimonie, pour éviter une deuxième mauvaise nuit. Après le roulage, le thé fermente pendant plusieurs heures, avant d’être à nouveau séché à l’intérieur de séchoirs à air chaud. Suite à ces démonstrations bien détaillées par un maître du thé sur 2 jours, on devient de vrais connaisseurs.
On est aussi très emballés à l’idée de sourcer ces pépites qui poussent au milieu d’une zone naturelle et préservée.
Enfin, on quitte le jardin de thé, enchantés par cette visite qui a incroyablement élargi nos connaissances sur le poivre, la cardamome et le thé. On est aussi très emballés à l’idée de sourcer ces pépites qui poussent au milieu d’une zone naturelle et préservée.
Au Kerala, les forêts sauvages abritent des épices exceptionnelles et renommées depuis belle lurette. En 1498, la route des épices a prospéré près de Kozhikode ou Calicut, la plage sur la côte du Kerala où débarqua Vasco de Gama. Il y a plus de 500 ans déjà, le navigateur s’écria « Pour le Christ et les épices ». L’ambition de ce long périple de 9 mois était d’établir le commerce des épices avec l’Inde et de briser le monopole des Arabes, en ouvrant la première route européenne des épices.
Le Kerala, cet immense jardin habillé d’une nature luxuriante attire les marchands depuis plus de cinq siècles mais aujourd’hui, les routes commerciales d’hier se doivent d’être plus loyales.
Ce séjour avec une famille indienne nous a réconforté à l’idée que la nature n’a nul besoin de traitements chimiques pour s’épanouir. Au contraire, les plantes s’affaiblissent et ne peuvent plus survivre sans intrants car elles s’y habituent, enclenchant un cercle vicieux.
En quittant cette famille le lendemain, on laisse derrière nous un modèle d’agriculture inspirant mais surtout très encourageant pour l’avenir de la planète.
Elles développent une accoutumance et perdent leur équilibre naturel. Sans parler des frais d’achat de produits chimiques ! Si seulement l’agriculture conventionnelle d’aujourd’hui prenait exemple sur ces méthodes alternatives, plus durables.
En quittant cette famille le lendemain, on laisse derrière nous un modèle d’agriculture inspirant mais surtout très encourageant pour l’avenir de la planète. Les promenades sous les hautes plantes de cardamome, abritées par la forêt tropicale, les théiers dissimulés derrière les collines verdoyantes ainsi que la récolte du roi des épices, le poivre nous ont émerveillé.
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